Green mountain & Golden hands

Publié le par François Bernard

Om Shanti Om, Om Shanti Om, Om Shanti Om...


Je suis à demi-conscient, encore baigné par la chaleur de l'étreinte, irradié de la tête aux pieds par les vagues qui se suivent et se brisent contre mes sens en alerte. La lumière vacillante d'une bougie, l'âcre parfum des corps, les frissons qui parcourent ma peau, le sel de ta bouche et ce son, qui sort de ta gorge et remplit la pièce de ses accents inconnus. Un mantra, une prière, un chant de dévotion, des paroles incompréhensibles et cette voix, cette voix douce et fragile qui résonne dans ta poitrine, ... Om Shanti Om, Om Shanti Om ...

Quel sentiment étrange, après des mois de solitude, que d'être de nouveau projeté aux origines du monde, de nouveau submergé par le désir, qui emporte tous nos préjugés et toutes nos inhibitions dans les tourments de la chair. La Terre s'est éparpillée en une infinité d'angles, de surfaces et de courbes, pour mieux capter la lumière, son éternel compagnon, pour mieux nourrir mes yeux avides de surprises. Leur union tapageuse se perd dans la nuit des temps et les mystères de la création. Cortès est coupée du monde par une violente tempête et l'île entière est plongée dans le noir. La pluie se déchaîne en vain contre les fenêtres, tandis que le vent hurle sa colère et mêle son souffle rauque à la mélodie, Om shanti Om, Om shanti Om. Je m'endort dans cette atmosphère étrange, sur cette invocation qui plane dans cette nuit d'encre aux airs de fin du monde.





Le soleil d'automne s'est invité dans notre tendre matinée. Je m'extirpe péniblement du lit et ouvre en grand la baie vitrée, laissant l'air vif du dehors me saisir et achever de me réveiller. Cortès a retrouvé sa quiétude et je goûte à cet air si particulier des lendemains de tempêtes, quand le vent et la pluie ont tout lavé sur leur passage, quand la moindre impureté s'est retrouvé balayée sur l'immensité du Pacifique ou emprisonnée dans l'épaisse forêt pluviale. Ce matin, c'est un autre chanteur, le grand corbeau, qui emplit les bois de son drôle de bavardage. La nature toute entière est heureuse de se donner un jour de répit. Le soleil, la lumière, voilà deux belles promesses et d'encourageants présages d'une autre journée dans ce paradis verdoyant. Je sirote mon café entre deux bouchées de porridge, et je savoure les attentions de cette femme qui partage mes jours et mes nuits depuis deux semaines, la saveur de ces céréales grillées, de ce mélange câlin qui se mêle si bien avec la saveur boisé du sirop d'érable.

Direction Green Mountain, promontoire d'émeraude recouvert par les strates de forêt pluviale. Quelques chanterelles ont élu domicile sur les bords du sentier, facile, beaucoup trop facile, et nous laissons les champignons vivre leur vie, mus par l'envie de gravir ce raidillon qui offre une vue panoramique des îles environnantes, du continent et de Vancouver Island. Le sommet se dégarnit peu à peu, laissant par endroit le granit à nu, et le soleil rasant peut enfin percer les broussailles et nous offrir un peu de chaleur et de lumière. Nous sommes tous deux ébahis par la beauté de cette Terre, qui non contente de nous offrir son eau et son air, nous régale de ces paysages de rêve et nous présente aux autres habitants qui trouvent refuge en son sein généreux. Tout ce qui se couvre de plumes s'est donné rendez-vous sur les hauteurs de green mountain. Pas moins d'une dizaine d'aigles chauves empruntent tour à tour les courants chauds pour décrire de majestueuses circonvolutions au dessus de nos têtes. Depuis mon arrivée en Colombie-britannique, je suis comme hanté par cet animal, qui à chaque rencontre semble avoir quelque chose à me dire, comme si ce vol gracieux et silencieux était une invitation à rester haut, à poursuivre la route, porté par cet air pur et porteur d'espoir.



O toi l'aigle, guide-moi à travers le vaste monde.



Angeli et moi sommes presque gênés de nous entendre aussi bien, comme si cette parenthèse dans nos vies solitaires remplissait d'un coup toutes nos attentes, comme si nous parvenions enfin à voir la relation à l'autre sous un jour nouveau, forts de nos expériences et des fruits du travail de nos consciences, seules à même de transformer nos souffrances en cadeaux, quand une fois surmontées, les épreuves nous laissent plus forts et l'âme en paix. Dieu sait que cette femme a souffert, que la mort et la violence se sont invités plusieurs fois à sa table pour lui servir leur amer brouet. Je suis admiratif de sa joie de vivre, de cette volonté qui illumine chacun de ses regards et de ces gestes. Loin, si loin de ces femmes trophées, de ces beautés factices et intouchables, je découvre enfin la beauté du coeur, de ce coeur hôte du divin et clé d'une vie qui trouve enfin un territoire à la mesure de son insatiable appétit.

Je ne me rappelle même pas du retour, j'ai juste glissé mes pas dans ses bonds de gazelles. Nous avons longé Gorge Harbour avant que le soleil ne nous salue une dernière fois, immobiles, suspendus dans ces instants de grâce. Angeli est reparti vers Manson's, le pouce en l'air, en me laissant au confort primaire de ma cabane sans eau courante. En allant puiser l'eau, je suis tombé sur ce grand cerf qui broutait nonchalamment les herbes grasses qui bordent la source. Je l'ai suivi du regard, avant de le perdre dans l'épaisseur des bois gagnés peu à peu par la pénombre et le froid d'une nuit sans nuages. Mon corps est épuisé, brisé par l'heure quotidienne de vélo, les longues marches et les nuits sans sommeil. Me voilà de nouveau seul, livré aux morsures de l'absence autant que comblé par les caresses et les baisers que m'offrent la Vie, cette drôle de bonne femme aux desseins mystérieux.



Sweet november guest




Brian les mains d'or.


Brian Genn a beau habiter à un jet de pierre de ma cabane, j'ai toujours un peu d'apréhension à l'heure de frapper à sa porte. Sa compagne est plutôt du genre parano et fait ce qu'elle peut pour lui pourrir l'existence, à commencer par se montrer désagréable à toute personne désireuse de passer un moment avec lui. Je pensais bien avoir vaincu le signe indien ce dimanche matin. Brian est seul, assis dans son canapé, une tasse de café entre les mains. Mon coup de fil a échoué sur la boîte vocale de mon ami Adrian, et Brian m'invite à rester le temps d'un cappuccino. Il farfouille dans l'un des nombreux cartons qui jonchent le sol du salon et en extirpe une boîte à chaussures pleine de photos. Quelques sourires traversent son visage furtivement devant les images des montagnes et des temples japonais. Combien d'émotions contenues et quelle pudeur, cette pudeur qui empêche tant d'hommes d'autoriser leurs émotions à franchir l'invisible barrière...

L'homme se détend un peu, et farfouille dans un autre carton. "Tu aimes la sculpture?" Evidemment ! et c'est même l'une des raisons qui m'a poussé à revenir dans les îles, en espérant bien rencontrer l'art des nations premières, leurs totems, joaillerie ou travaux de la pierre, de l'os et du bois. Une à une, les pièces sortent des cartons et retrouvent la vie sous la lumière du jour. Couteaux, racloirs, ciseaux de sculpteur, bijoux, kayak, oiseaux, pipes et autres poissons révèlent chacun à leur manière l'extraordinaire créativité, le riche imaginaire et la maîtrise technique de l'artiste. J'ai passé quelques journées à travailler avec Brian sur les chantiers ou bien au chaud dans son petit atelier, mais je n'avais jusque là pas encore pu apprécier la totalité de son oeuvre, qu'il décrit et explique avec une modestie presque gênante. Je sens à tous moments l'homme sur la retenue, comme si le bonheur et la reconnaissance étaient pour quelqu'un d'autre, comme si de profondes et secrètes blessures l'empêchait d'exploiter au grand jour ses immenses talents.





Un dernier carton s'ouvre sous mes yeux et Brian en extraie une longue boîte en cèdre jaune. Le tiroir coulisse lentement et la lumière rasante heurte les volumes harmonieux de la pierre et les courbes chaleureuses du bois. Je tiens dans mes mains le calumet, l'objet le plus précieux des peuples indigènes, la porte sacrée du partage et de la conscience. Je soupèse le lourd foyer en pierre rose et laisse ma main caresser l'objet de pied en cap, appréciant la finesse de la matière et la perfection du labeur, jusqu'aux deux plumes d'aigle qui ornent le long bec en bois dur. "J'ai trop de respect pour posséder un vrai calumet, alors je construis mes propres objets, en essayant de ne pas singer l'art de ces peuples".

Les objets défilent dans mes mains, je suis en admiration devant tant de créativité et de persévérance, devant ces oeuvres inspirées par ses rêves de petit garçon, de ses voyages dans le temps des vikings, des indiens et des samouraïs, dans ces histoires de marins et de pirates, dans cette soif sans fin d'aventures et de découvertes. Tout cela s'incarne sous mes propres yeux d'enfants, fascinés par cet homme simple dont chaque expression semble avoir traversé un océan de doutes avant de s'exprimer. Je pense à ma soeur, dont les mains d'or font jaillir de son coeur ces robes de princesses et ces mariées de contes de fées. Je pense à tous ces artistes dont l'acte créateur ne parvient pas aux autres hommes. Tous ces génies anonymes qui ne se découvrent qu'à de rares occasions, quand le temps d'une matinée l'artiste accepte de se mettre à nu en offrant son art aux regards de l'autre, cet autre qui d'ordinaire lui fait si peur...





J'ai couru chez moi pour attraper mon appareil photo et immortaliser ce moment. Entre temps G. est revenue de sa promenade et me jette un regard incendiaire. J'ai à peine le temps de prendre trois photos que l'atmosphère devient irrespirable. Il est temps de partir, hélas. Je remballe mes affaires en hâte, triste de laisser Brian se débattre avec les tourments d'un couple aux allures de prison. Je suis heureux cependant d'avoir partagé son univers et son art pour quelques heures. Il me reste heureusement les semaines de travail pour continuer à apprendre, et tout un hiver pour laisser à mon tour ma créativité s'exprimer. J'ai peine à croire qu'il ne me reste que 5 mois de visa, peine à croire que le temps passe aussi vite, alors que tout m'invite à rester. Rester, pour continuer à creuser mon sillon dans le sillage de mes maîtres et achever de me laisser conquérir par la beauté envoûtante de ce nouveau monde...

Publié dans Cortès Island

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E
super ton blog il est vraiment bien fait viens voir notre le notre et dis nous ce que tu en pense <br /> http://easyoneeasyone1.spaces.live.com
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K
tes textes et tes photos évoque la beauté dans tous les sens du terme...bonne route alors , profite de ces 5 mois à venir...je projette de partir en B.C. en Mars...le wwofing à l'air une activité plutôt masculine...laisse moi espérer qu'elle est aussi possible pour une femme, ai- je tort ou raison?<br /> comme disait Nicolas Bouvier "on pense faire un voyage mais c'est le voyage qui nous fait ou nou défait..."encore bonne route!<br /> Anne
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