L'aquaculture en question, portrait de la biologiste Alexandra Morton

Publié le par François Bernard

Alexandra Morton vit depuis 26 ans dans l'archipel des Broughton Islands, un chapelet d'îles située au large de la côte nord-est de Vancouver Island. Biologiste marine de profession, Alexandra est aussi une environnementaliste reconnue pour son obstination et son intégrité. C'est une salle comble qui l'accueille ce samedi 21 mars 2009. Au programme de sa conférence, le sujet épineux des fermes d'élevage de poissons et ses récents développements juridiques. Alexandra Morton a récemment obtenu un jugement plaçant les fermes sous juridiction fédérale, ce qui à terme devrait permettre un véritable contrôle d'une activité plus que controversée.


Alexandra Morton - soutenez son action en visitant http://www.adopt-a-fry.org


Dans la petite salle communale de Manson's Landing, Alexandra est en terrain conquis et entame sa présentation après une salve d'applaudissements. Son contenu est une synthèse d'un travail scientifique mu par un amour sincère des îles et de leurs écosystèmes, à la fois complexes et extrêmement fragiles. D'abord consacrées aux orques et à leur routes migratoires, ses recherches se sont orientées sur les saumons, une fois les orques définitivement chassés des lieux suite à la dégradation brutale de leur habitat. Alexandra explique non sans humour que le fait d'être mère l'a autant empêché de mener une carrière semblable à celle de ses collègues masculins qu'aidé à s'ancrer dans un territoire, cet ancrage lui offrant la possibilité d'observer année après année l'évolution de son milieu et de ses sujets d'études.

Debarquées en Colombie britannique suite au renforcement des contrôles de leurs activités en Norvège, les fermes aquacoles sont arrivées avec les bras chargés des promesses habituelles. La Colombie britannique est, à proprement parlé, une colonie, dont les ressources brutes, minerai, bois, pêche, eau et électricité, sont exportées à l'état brut vers leur principal client, les états-unis, grands bénéficiaires des accords de libre-échange (NAFTA) conclus entre les deux pays. Face au marasme de ces activités de ressources et à l'épuisement de la pêche, les compagnies aquacoles ont profité des portes ouvertes par le gouvernement provincial, dont la faiblesse des exigences environnementales et sociales était la garantie d'énormes profits à venir. Sans grande concertation avec les communautés locales, les fermes ont commencé à s'installer sur les routes migratoires des saumons sauvages. Vingt ans après, le constat est amer, les saumons sauvages se font de plus en plus rares et les fermes aquacoles doivent recourir à des procédés extrêmement polluants pour maintenir leur production. Les maigres répercussions en matière d'emploi imposent un autre constat cruel : les fermes aquacoles sont un échec social retentissant pour les populations locales, et seuls les compagnies aquacoles peuvent encore nier leur propre nocivité.

Alexandra Morton épingle au passage le fonctionnement de notre démocratie et des médias dominants, qui mettent sur un même pied d'égalité le travail scientifique, fruit d'années de recherches et d'expériences, et la propagande des experts en relations publiques à la solde de compagnies privées qui jouissent de relais financiers et politiques de premier choix dans leur entreprise de désinformation. Plus que jamais, c'est d'un soutien populaire enracinée dans une volonté individuelle de s'informer et d'agir qu'Alexandra et d'autres activistes ont besoin. Le but avoué de ses conférences est d'ouvrir nos yeux endormis et de convaincre les citoyens ordinaires de leur pouvoir d'action.

La liste des griefs et des dysfonctionnements des compagnies aquacoles est longue. Non contentes de forcer artificiellement la croissance d'une espèce non indigène de saumon, les fermes aquacoles ont recours à l'emploi de techniques interdites, comme l'éclairage nocturne des bassins, ou l'émission d'ondes radio destinées à repousser les phoques et autres animaux attirés par les nasses. Par ailleurs, la concentration artificielle de centaines de milliers de poissons dans des nasses entraîne la prolifération de maladies et de parasites. Ces derniers se propagent dans l'ensemble de la chaîne alimentaire vivant à proximité des fermes. Inspirée des méthodes d'agriculture intensive, les fermes ont recours à l'emploi de procédés chimiques pour combattre la surmortalité lié à cette "monoculture". Aspergés massivement sur des bassins non confinés et ouverts sur le reste de l'océan, les polluants se dispersent en fonction des marées et des courants, ce qui place de fait les fermes en contravention avec les règles fédérales sur les pêcheries et océans. Censées être des réponses temporaires et limitées dans le temps, ces pratiques deviennent récurrentes, illustrant la persistance de la Nature à détruire ce qui va à l'encontre de ses règles. En consommant le saumon d'élevage, nous nous exposons donc à un produit alimentaire industriel bourré d'une large palettes de produits chimiques, colorants, antibiotiques, et pesticides, parmi lesquels des poisons neurotoxiques comme le. A boycotter d'urgence !

En obtenant la mise sous tutelle des fermes aquacoles par l'autorité fédérale, Alexandra Morton espère contraindre les fermes de quitter l'océan pour s'installer sur terre, où elles seront libres de faire leur travail dans des bassins confinées et soumis à des contrôles quant aux méthodes et produits chimiques employés. Consciente de n'avoir gagné qu'une bataille symbolique dans sa lutte, la scientifique reste mobilisée et s'attend au probable appel de compagnies multinationales qui se refusent à tout dialogue avec les différents représentants de la société civile locale, mobilisée par les nations aborigènes, les pêcheurs, les écologistes et scientifiques de la province. Face à l'intense lobbying et au chantage à l'emploi de ces firmes transnationales, c'est aux citoyens de prendre en main ce dossier au coeur d'une bataille globale pour notre sécurité alimentaire. Loin d'être un problème local, l'aquaculture est un avatar des ravages de l'économie globalisée. Les fermes ne sont qu'un rouage d'un système de production intégrée qui utilise des espèces en voie de disparition sur-pêchées dans l'hémisphère sud afin d'engraisser une espèce de saumon importée de l'atlantique, pour le plus grand bonheur de compagnies norvégiennes détenus par des capitaux anonymes. Non contentes de profiter des largesses règlementaires et fiscales de la province, les fermes fragilisent toujours plus l'environnement et le tissu social de l'archipel des Broughton Islands. Le prix du saumon sauvage a baissé, paupérisant les pêcheries et encourageant la surpêche pour compenser le manque à gagner. L'emploi local n'a pas profité de l'aquaculture, au contraire, l'exode se poursuit et les îles se vident, entraînant fermetures d'écoles et autres service publics.

En 20 années de vigilance et de lutte, Alexandra a heureusement pu compter sur une importante mobilisation des populations locales et sur le succès d'une campagne de dons qui lui a permis de financer les frais juridiques de son action en justice. Face à l'incertitude d'un combat disproportionné, Alexandra et les autres activistes qui luttent pour notre bien-être doivent recevoir notre soutien. Chaque action compte pour faire pencher la balance en faveur d'une économie solidaire, participative et fondée sur une vision à long terme des ressources et des opportunités de chaque territoire. D'abord observateurs, d'autres secteurs économiques comme le tourisme commencent à comprendre l'intérêt de protéger le patrimoine environnemental de la Colombie britannique, dont la beauté sauvage et spectaculaire de l'océan, des montagnes, forêts et rivières lui donne tant de caractère.

Alexandra Morton inscrit également son combat dans une perspective d'autonomie alimentaire. Correctement gérés, les écosystèmes côtiers peuvent redevenir les cornes d'abondance qu'ils furent jadis, à l'époque où les saumons se trouvaient tout au long du Pacifique Nord, de l'Alaska à la Basse-Californie. Dans une optique de relocalisation de nos circuits de production alimentaire, le fameux "100 miles diet", le saumon et autres espèces indigènes sauvages doivent redevenir une priorité. Alexandra Morton partage la vision traditionnelle de l'environnement. La Nature n'est pas une ressource que l'on exploite jusqu'à épuisement, il s'agit d'une seule entité vivante, dont les différentes composantes animales et végétales en sont les différents organes, chacun ayant une fonction particulière au sein du cycle de la Vie. En migrant en masse lors des différentes phase de leur existence, les saumons agissent comme un seul animal. Ils sont depuis toujours une source extraordinaire et abondante de vie, nourrissant dans une même geste providentielle les plantes, animaux et parmi eux, l'espèce la plus ingrate pour tant de générosité, l'espèce humaine.

Publié dans Ecologie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
N
<br /> C'est bien vous avez raison il faut prendre ce que nous offre le monde bonne route dans votre voyage<br /> <br /> Nicolas<br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> Je pense que l´aquaculture est une alternative nécéssaire. La pression de la pêche sur la Baltique(ou ailleurs) par exemple, où on laisse les gros pêcheurs jeter par dessus bord plusieurs milliers<br /> de tonnes de poissons mort avec les conséquences desastreuses pour le milieu est bien plus dangereuse et inacceptable (si nos amis africains voyaient cela...). Il y a des techniques remarquables en<br /> elevage aquacole et le poisson est de bonne qualité. Soit on résoud un probléme ecologique,soit on cherche le profit ....il faut choisir!.......AH! j´oublie une chose: on est bientôt 7 milliards<br /> d´individus c´est dur á nourrir tout ca!<br /> Au boulot!<br /> Luc Antelme<br /> <br /> <br />
Répondre
B
Blogs are so informative where we get lots of information on any topic. Nice job keep it up!!
Répondre
I
More & more people know that blog are good for every one where we get lots of information any topics !!!
Répondre
L
Bonsoir,<br /> Je viens de passer un bon moment sur votre blog, votre article est bien je prendrai le temps de visiter vos albums photos dans les prochains jours. <br /> <br /> A l'occasion venez voir mon blog, je suis graphiste.<br /> N'hésitez pas à laisser des commentaires je répondrai.<br /> Je vous souhaite une bonne continuation sur votre blog<br /> A bientôt sur over blog<br /> www.nicolaslizier.com<br /> <br /> Nicolas Lizier
Répondre