Liquid sunshine

Publié le par François Bernard

"Déjeuner en paix", certains d'entre vous se rappèlent peut-être le titre de cette chason de Stephan Eicher, et c'est bizarrement la rengaine qui trotte dans ma tête ce matin. Je suis debout depuis 6 heures, réveillé par le soleil qui c'est installé depuis trois jours. Il fait un bon quatorze degrés dans ma cahute et je fonce vers la maison pour me concocter mon brevage matinal.

 

Hobbes, le chat de la maison, vient se tortiller contre mes chevilles en miaulant, je m'assoie tranquillement à table en écoutant la radio nationale du Canada, CBC 1. Rappelez-vous la chanson : "les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent", et ce matin le journal ne fait pas exception, alors autant éteindre la radio et apprécier l'infinie sérénité qui se dégage des lieux. Le vent fait danser les arbres, l'air est frais et le soleil pointe à l'horizon, comme la promesse d'une autre belle journée.

 

Sur mon île, je perd la notion des jours et des semaines, au final seul compte l'instant, ce que l'on fait ou va faire dans les heures qui suivent, en fonction du temps ou de son désir. Je passe de longues heures au jardin et le travail de la terre me procure un plaisir simple mais si profondément authentique. Le jardinage est comme une méditation active, les pensées vont et viennent mais au final, l'esprit est absorbé par les gestes et par la vie grouillante sous chaque coup de plantoir.

 

J'aime cette île, je m'y sens chez moi. Après tout, la métaphore du jardin nous rappèle que tout n'est qu'une question d'environnement. Donne de l'attention, de l'écoute et une nourriture saine à une plante et celle-ci se développe de manière harmonieuse, il en va de même pour nous autres humains. Je suis venu chercher ici cette sensation de liberté, ce contact profond et direct avec la nature que j'attendais depuis longtemps.

 

De temps à autre, je m'échappe quelques heures en kayak et je pars explorer les îlots environnants. Je revis cette émotion enfantine, quand la soif de découverte l'emporte sur la peur. Je laisse le kayak sur la plage et je pars explorer ces bouts de caillou. La récompense est souvent une vue magnifique ou la chance de rencontrer une biche, un aigle ou un troupeau de phoques, allongés paresseusement sur leurs rochers. Ce coin de Canada est l'un des plus beaux endroits qu'ils m'ait été donné de voir et je suis heureux qu'il existe encore sur cette planète des lieux qui n'aient pas encore été totalement détruits par l'homme.

 

Car ici aussi l'homme a détruit, et l'homme moderne a encore quelques projets stupides pour défigurer ces patrimoines naturels exceptionnels. Pour le patrimoine culturel, c'est certainement fait depuis longtemps, le Canada comme les autres pays "civilisés" ayant son lot de casseroles sales. La relation avec les peuples premiers est un triste exemple du comportement misérable de l'homme occidental, blanc et chrétien dans son entreprise de colonisation systématique. La semaine dernière, le gouvernement a présenté des excuses historiques pour son comportement vis à vis de ces peuples, nottament la spoliation des terres et l'internement systématique des enfants dans des pensionnats religieux où beaucoup ont été abusés et battus.

 

Les conséquences sont désastreuses en terme de santé, d'éducation et de perte de repères culturels et identitaires. Leurs terres ont été polluées, leurs ressources naturelles, comme la pêche ou la forêt, pillées. Le taux de suicide y est 40 fois plus élevé que la moyenne canadienne, et l'espérance de vie accuse cinq ans de moins. Le gouvernement canadien, suite à une décision de justice le condamnant, a versé il y a 5 ans jusqu'à 30 000 dollars par foyer en terme de compensation. Là-aussi, cette décision, en apparence généreuse, a eu comme conséquence l'explosion des consommations de drogues et d'alcool par des populations fragilisées et totalement inadaptées aux valeurs du monde "moderne".

 

Aujourd'hui, des compagnies d'hydroélectricité font miroiter quelques emplois et d'hypothétiques royalties aux tribus pour qu'elles cèdent le droit de détourner leur rivière pour faire de l'électricité. Vendue pour dix ans à la compagnie provinciale, elle pourra ensuite être commercialisée selon les lois du marché, probablement aux Etats-unis ou à la banlieue de Vancouver, qui ne cesse de s'étendre. A terme cela signifie l'arrêt de mort des paysages des îles et de toutes celles et ceux qui travaillent grace à ce patrimoine naturel.

 

J'ai bien du mal à ne pas me sentir un privilégié, moi qui voyage, qui ai accès à l'education. Néanmoins, cette expérience canadienne ne fait que renforcer mes convictions écologistes et humanistes, en espérant qu'il ne sera pas trop tard quand nous devrons passer à la caisse. Je suis renforcé dans l'idée que nous pouvons décider d'adopter d'autres comportements, nottament en substituant le troc et l'échange direct au rapport systématique à l'argent. et en se réappropriant nos moyens essentiels de subsistance. J'entend par là, les moyens de produire son alimentation, de construire son logement, de s'instruire et de se soigner en suivant des voies qui ne soient plus systématiquement celles du marché.

 

Mon expérience de WWOOFing va dans ce sens, car c'est un moyen de voyager gratuitement, tout en supportant des lieux, des familles et des individus qui ont une démarche consciente et respectueuse de l'environnement. J'échange mon temps contre un toit, de la nourriture saine, du savoir et la reconnaissance des locaux qui en échange font tout pour faciliter mon intégration dans leur communauté. Par communauté, je n'entend pas un quelconque rassemblement sectaire, mais l'entité grace à laquelle l'être humain, animal social par essence, trouve autour de lui des relais et des appuis pour développer sa créativité et ses talents. La reconnaissance devrait toujours être d'abord symbolique avant d'être matérielle. Combien d'entre nous font ou ont fait l'amère expérience de relations sans aucune reconnaissance symbolique, nous rabaissant à de simples individus, interchangeables et exploitables à merci.

 

Vous n'avez certainement pas entendu cela ce matin à la radio en vous levant. Ce matin, j'avais envie de "déjeuner en paix", alors j'ai coupé la radio et ouvert mes yeux sur la beauté de ce monde autant que sur sa laideur, comme deux facettes possibles de nos vies, selon que notre conscience s'exprime ou non. Ce  matin, j'ai une pensée pour chacun d'entre vous, et même si certains n'apprécient guère les messages à caractère collectif (j'y fus longtemps hostile, désolé Wafa), vous êtes toutes et tous dans mon coeur et guidez chacun à votre manière mes pas hésitants.

 

Je vous aime.

Publié dans Read Island

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Bonsoir,<br /> <br /> Je ne vous dirais pas que j'ai lu tous vos articles se serait mentir, j'ai lu tres peu, cela dit suffisemment pour apprécier la qualité de votre expression, et c est sans parler de la magnificience de vos photographies a la dimension tellement omnirique !! Ca fait rêver. Etes vous l'auteur de ces photos ? Si oui quel appareil utilisez vous si ce n est pas indiscret ?<br /> <br /> Merci par avance<br /> et je vous souhaite une bonne soirée.<br /> <br /> Jessika
Répondre