Lettre au pays

Publié le par François Bernard

Bonne année à toutes et tous, mes chers et persévérants lectrices et lecteurs.



J'ai envoyé ce mail à mon pote Guillaume pendant les fêtes, mais je crois qu'il mérite d'être publié en temps que tel, car il ressemble à quelques mails échangés avec mes lecteurs...

Mon cher Guillaume,

Quel joie de recevoir ce long message, témoin du temps et de l'énergie consacrée à notre amitié. Merci du fond du coeur d'avoir pensé à moi.

Je ne sais pas si mon écriture mérite tes compliments, qui résonnent comme un encouragement à continuer d'écrire et de relater l'histoire de ce voyage, qui à la manière de ces épopées mythologiques est l'occasion de poursuivre le travail et les métamorphoses entamées avant le départ. Toi qui as voyagé et travaillé en dehors de ton pays d'origine, tu sais à quel point ce genre d'expérience initiatique change un homme à tout jamais, ne serait-ce que par la formidable confiance que procure le fait d'évoluer dans une culture différente et d'y construire quelque chose qui émane uniquement de sa volonté et de ses facultés d'intégration.

Je réalise à quel point c'est bon d'être enfin dégagé du jugement des autres, de sa famille ou de tous ces gens qui croient te connaître. Oui, c'est bon de redevenir anonyme, de laisser derrière soi ce passé parfois encombrant, pour repartir de zéro et ne devoir sa réussite et ses échecs qu'à soi-même...

La Colombie britannique m'a offert cet immense terrain de jeu et cette Nature, puissante, généreuse et sauvage. Elle m'a offert des expériences qui resteront à jamais dans mes mémoires, car elles m'ont profondément reconnecté avec cette partie instinctive et primaire de mon humanité. Vivre au grand air, boire l'eau des torrents, explorer les montagnes et se blottir dans l'épaisseur de la forêt pluviale, redevenir le chasseur, le nomade, cet être épris de liberté qui se sent un avec l'univers, quand l'aube accueille un nouveau soleil ou que la nuit le plonge dans l'immensité galactique ; dormir dehors, sentir le froid sur ma peau. Moi l'enfant du Nord, me voilà de nouveau dans mon élément, la pluie, la neige, et ces vents d'hiver qui portent en leur sein la timide promesse du printemps et de son explosion de vie.

Je réalise peu à peu que ce voyage est une opportunité inespérée de guérir ; guérir mon âme et ce coeur saigné à blanc par le souvenir des amours perdues ; guérir mes angoisses devant les promesses d'apocalypse d'un monde à la dérive, guérir en laissant derrière soi les années d'obéissance servile aux idoles, aux religions, au salariat, aux homme politiques et à tout ceux qui nous empêchèrent un jour de déployer nos aîles.

J'apprend que ton entreprise te licencie, après avoir sucé la dernière goutte de ton sang, après t'avoir mené par le bout du nez grâce à de vaines espérances. Vaines, certes, mais tu y as cru et a plongé tête baissée dans les illusions de la réussite sociale et des récompenses matérielles substituts de l'amour absent. Je suis heureux que tu t'éveilles à cela, que tu fasses le premier pas, celui de la prise de conscience préambule à l'acceptation et l'intégration de ce que nous sommes ou avons été, sans jugement ou culpabilité, mais sans complaisance non plus. Toute métamorphose positive se nourrit d'abord d'une plongée sans compromis dans ses peurs, dans ses souvenirs, dans ce côté sombre qui nous paralyse et nous interdit depuis si longtemps de nous révéler en pleine lumière.

J'ai toujours vu en toi le frère que je n'ai pas eu, car j'ai toujours eu l'impression que la vie nous avait mis sur les mêmes chemins et devant le même défi. Nous partageons le même sentiment d'être étranger à notre propre famille, à cette logique de classe et à ces prisons qui enferment les gens dans leur titre, leur nom de famille ou la marque de leur voiture. Nous avons tous deux lutté avec la tentation du cynisme, de fermer les yeux et de faire son trou dans le système. J'ose croire que nous vallons mieux que ces postures de larbins. Nous vallons mieux que servir la soupe aux patrons sans foi ni loi. Nous vallons mieux qu'un bulletin de vote devenu blanc-seing pour les laquais d'un système financier qui nous pousse chaque jour plus prêt du chaos et de la déshumanisation.

Il n'y a absolument rien à attendre de ce système fascisant et des institutions qui assurent sa continuité. Le dernier refuge de l'espoir est en nous, là où personne ne peut aliéner notre conscience. C'est en nous que se trouve le souffle, il suffit juste de le laisser sortir. C'est un processus long et périlleux, mais tu n'es pas le seul pèlerin qui erre dans Babylone. Nous sommes nombreux à vouloir que les choses changent, et nous amorcerons le changement en commençant par le seul territoire sur lequel nous pouvons avoir un quelconque pouvoir : nous-même.

Ceci n'est pas une invitation à l'égoïsme, mais une profession de foi et une invitation à croire. Croire, non pas dans ces églises habitées par la frustration, l'intolérance et la servilité, mais croire dans sa capacité de guérir et de s'ouvrir aux autres, croire que la beauté et la magie sont partout autour de nous. La première condition est de laisser mourir cet être desséché que nous sommes devenus par négligence, par paresse, par obéissance et par fascination pour les récompenses de notre culture mercantile. Une culture qui gonfle nos égos, nous coupe les uns des autres et nous précipite dans la médiocrité, la violence et la tragédie des attentes déçues. Je ne veux pas entrer en guerre contre le système, car il est bien plus fort que moi et que le combattre revient à légitimer son existence. Je revendique en revanche le droit de faire un pas de côté, et d'emprunter l'autre chemin. Ma vie est redevenue ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : un immense jeu de piste, où je cherche les prophètes, les signes et les indices qui me montreront la voie.

Mon cher Guillaume, tu as devant toi une occasion inespérée de mettre ta vie entière à plat et de repartir sur d'autres bases. En te licenciant, tes patrons t'ont offert la Liberté, le seul bien que l'Homme devrait chérir et défendre à tous prix. Tu as enfin le droit et peut-être le devoir de te guérir, d'entamer la route qui te transformera et te rendra la joie. Depuis tout ce temps, je ne tai jamais vu vraiment heureux, et je crois qu'il est temps que cela change, pour toi et toutes celles et ceux qui profiteront des merveilleuses qualités qui se cachent dans ton coeur. Tu es généreux et sincère, et tu as toujours été un ami fidèle et attentif. Tu peux offrir encore plus, tu peux offrir à d'autres, si tu te libères enfin de tes chaînes et de tes souffrances. C'est le premier pas, c'est le plus dur. Cela m'a pris cinq longues années, mais ce n'est rien au final, comparé à l'échelle d'une vie entière ou à ces 25 premières années, passées à marcher avec la peur, la colère et la tristesse. J'ai trente et uns ans dans ce bas monde, mais à peine quelques mois dans ma nouvelle peau. Mes pas sont parfois hésitants, et les veilles peurs jamais très loin, mais que cette vie est belle quand on se donne la liberté d'en jouir...

Quel que soit le chemin que tu prendras, sache que je te garderai toujours dans mon coeur et que tu trouveras toujours en moi l'oreille attentive et l'ami prêt à s'ouvrir à tout ce que tu es. Je suis là, il te suffit de fermer les yeux ou de m'écrire. Je te remercie encore pour ton message, et pour les citations de ces auteurs que je ne connaissais pas. Je les garderai précieusement dans mon carnet, parmi toutes ces phrases et ces proverbes emprunt de sagesse universelle, avec les poètes, Llorca, Gibran et Che Guevara.

Tout est déjà en nous. Ce que nous appelons expérience ne vaut que si nous cessons d'ignorer les messages qu'apportent à notre conscience nos rencontres, nos émotions, nos joies et nos peines. Si nous passons notre vie entière à persévérer dans l'ignorance et que nous continuons à subir ou infliger la souffrance, c'est que nous faisons le choix délibéré de la lâcheté, du déni et du mensonge.

On dit souvent que l'on est seul et j'ai eu du mal à saisir ce concept, jusqu'à ce que je songe à ma propre mort. C'est par ce biais que je me suis ouvert à ce concept de solitude existentielle, car je serai bel et bien seul pour accueillir la mort, et seul pour vivre cette ultime transformation. En regardant les saumons remonter les rivières et livrer leur corps aux autres animaux, j'ai compris que je ne faisais qu'un avec l'univers, et que les atomes et les particules qui constituent mon être poursuivront le cycle de la vie dans d'autres formes de vie, ni supérieures, ni inférieures à ma condition humaine.

Cependant, je n'ai jusqu'à preuve du contraire qu'une seule occasion de faire l'expérience de l'incarnation dans cette forme humaine. Désormais, chaque jour qui passe m'offre l'occasion d'éprouver de la reconnaissance pour la Terre mère qui m'a donné la vie et pour toutes celles et ceux qui m'ont nourri, soigné et éduqué. Chaque jour qui passe m'offre l'occasion de donner, de recevoir et de partager l'Amour authentique, celui qui panse nos plaies et nous donne l'espoir, celui qui me laisse libre d'être moi-même, sans attentes ni attachements déraisonnables.

Chaque jour qui passe sans Amour est perdu, mais comment pourrais-je rencontrer ou expérimenter l'état d'Amour si je suis continuellement en dehors de moi-même, dans un état de soumission ou en proie à de perpétuelles souffrances ? C'est pour cela que je chéris ma Liberté, et c'est pour cela que je laisserai ce monde me montrer son plus beau visage, car c'est celui que je veux emporter avec moi quand mes yeux se fermeront, à l'heure de mon ultime métamorphose.

Je t'aime très fort,

François.

Publié dans KriduKoeur

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Bonjour François ou peut-être bonsoir...<br /> Voilà quelques semaines que j'ai découvert ton blog, poursuivi moi aussi par un doux rêve d'ailleurs...Je n'ai pas pour habitude de laisser des messages sur cette toile universelle de nos consciences en fuite mais pour une fois je fais exception à la règle...pour une fois car le sens de tes mots et la profondeur d'âme qui en ressort me touche profondément. Merci de penser différemment, merci de te livrer ton cœur sans artifice et sans faux-semblant, merci encore d'ouvrir cette voie...
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